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La Découverte de l’Insuline

Par Laurène D.


Il y a presque 100 ans, quatre chercheurs canadiens découvraient puis purifiaient l’insuline. Le retentissement de cette découverte fut magistral : la protéine redonna espoir à des milliers de patients dont l’espérance de vie était alors drastiquement réduite. Au-delà de ce grand “miracle de la médecine moderne”, un nombre important de concepts et processus physiologiques furent compris à travers les travaux consacrés à l’insuline. Une molécule qui aura donc marqué l'histoire de la biologie et de la médecine, et dont la découverte nous est narrée ici par Laurène, inspirée par l'excellent ouvrage La découverte de l'Insuline de Michael Bliss.



L’insuline et le diabète


L’histoire de l’insuline est intimement liée à celle du diabète sucré (dit de “Type I”), une maladie qui se caractérise par un niveau anormal de sucre dans le sang et se déclenche de manière brutale dans l’enfance.


Il fut compris très tôt, en ancienne Egypte déjà, que les grands diabétiques devaient leur terrible mal à un trop-plein de sucre dans l’organisme. Le dépistage consistait alors à goûter l’urine des patients : lorsqu’une légère saveur sucrée était constatée, la diagnostic tombait. Une sentence d’autant plus funèbre que la maladie était brutale. En l’absence de traitement, les malades mouraient généralement avant l'âge de trente ans, et cela après des années de souffrance et un amaigrissement extrême. Arateus décrivait ainsi, au premier siècle de notre ère, le diabète comme “un processus qui fait fondre les chairs et les membres, et les transforme en urine”.


Pendant longtemps, les médecins n’eurent d’autre alternative pour dépister le diabète que d’utiliser leurs papilles. Il fallut attendre la fin du 18ème siècle pour la mise au point d’un test chimique permettant d’évaluer la glycosurie, la teneur en sucre de l’urine. Par la suite, un patient présentant des signes de glycosurie élevée était presque toujours diagnostiqué comme diabétique, les autres troubles associés à ce symptôme n’étant encore que mal connus à l’époque.


Les premiers traitements


Il était cependant plus facile de diagnostiquer le diabète que de le soigner. Sans traitement, les progrès de la maladie étaient inéluctables. Avant 1850, ces traitements se réduisaient souvent à des saignées ou à l’usage de narcotiques, et faisaient généralement plus de tort qu’ils n’aidaient la plupart des malades.


Un autre traitement qui persistait encore au début du 20ème siècle s’appuyait sur l’hypothèse qu’un diabétique avait besoin de se suralimenter pour compenser la perte des éléments nutritifs éliminés par son urine. Par conséquent, le patient se devait de manger le plus possible. La pratique était toutefois vivement critiquée à l’époque. Frederick Allen, le diabétologue américain le plus réputé du moment, jugeait en effet primordial de combattre ce qu’il appelait alors “cette erreur de la médecine moderne”.


On fit un premier pas important dans la bonne direction quand les médecins commencèrent à adopter une position inverse à celle de la suralimentation. Si l’organisme n’arrivait pas à assimiler tous les aliments ingérés, peut-être valait-il mieux ne pas le surcharger. La diète pauvre en carbohydrates se révéla être la plus adaptée et fut donc la plus utilisée, même si la répugnance des diabétiques à la respecter resta un grand problème.


Le rôle du pancréas


Par des autopsies pratiquées sur des diabétiques, on avait depuis le milieu du 19ème siècle graduellement accumulé les preuves montrant que cette maladie était fréquemment associée à des dommages causés au pancréas. Plus important encore, les personnes dont le pancréas était gravement atteint avaient presque toujours souffert du diabète.


On pensait à l’époque que cet organe situé au fond de l’abdomen avait pour principale fonction de produire des enzymes digestives. Mais des études plus poussées, effectuées au microscope, révélèrent que le processus était moins simple qu’il n’apparaissait. En 1869, Paul Langerhans, étudiant allemand en médecine, soutint dans un mémoire que le pancréas ne comptait pas un, mais deux systèmes cellulaires.


Il y avait d’abord les acinis, ou cellules en grappe, qui sécrètent le suc pancréatique. Mais Langerhans découvrit d’autres cellules qui paraissaient n’avoir aucun lien avec les premières. Disséminées dans tout l’organe, elles se mélangeaient aux acinis d’une façon telle qu’elles donnaient souvent l’impression d’évoluer dans une mer de cellules acineuses. Quelques années plus tard, le spécialiste français Laguesse donna à ces mystérieuses cellules le nom d’“îlots de Langerhans”. Il avança l’hypothèse que si le pancréas faisait plus que de simplement sécréter les sucs digestifs, ces îlots y étaient sans doute pour quelque chose.


Les preuves permettant de formellement relier le pancréas au diabète restaient toutefois fort minces. En 1889, l’université de Strasbourg fut le théâtre d'un débat scientifique qui éclaira grandement la question. Oskar Minkowski et Joseph von Mering défendaient des positions divergentes dans un débat où l’on tentait de définir si les enzymes pancréatiques jouaient un rôle capital dans la digestion des graisses de l’intestin. Pour mettre fin au débat, ils décidèrent de tenter une expérience très délicate : procéder à l’ablation du pancréas d’un chien et observer ensuite les conséquences de cette intervention chirurgicale. Comment se comporterait l’appareil digestif en l’absence de suc pancréatique ? Dans un compte rendu écrit plusieurs années plus tard, Minkowski décrivit comment le chien “dépancréaté”, même s’il était bien dressé, ne pouvait se retenir d’uriner sur le plancher de leur institut. Les analyses révélèrent que l’urine du chien contenant 12% de sucre; on put ainsi constater que l’animal souffrait d’une condition en tout point semblable au diabète sucré. L’expérience confirmait donc que l’absence de pancréas provoquait le diabète, bien que l’on ignorât alors comment.


Le problème suivant consista donc à découvrir comment le pancréas régularise le métabolisme du sucre. En 1893, le chercheur français Hédon mit au point une méthode lui permettant de déterminer que c’était l’absence de suc pancréatique qui provoquait le diabète. A l’aide de nombreux procédés chirurgicaux, il retira presque tout le pancréas d’un chien, sans toutefois éliminer totalement l’apport en suc pancréatique. Même si l’animal était alors privé de la quasi-totalité de son organe, il ne devenait pas diabétique. Mais quand Hédon continua la pancréatomie en enlevant le greffon restant, le diabète se déclara sur le champ.


Il devenait donc difficile de nier que le pancréas remplissait une double fonction. En 1901, l’américain Eugene Opie fournit l’un des chaînons manquants en prouvant l’existence d’un lien pathologique entre le diabète et les dommages causés aux mystérieuses cellules dont Langerhans avait révélé l’existence. A compter de ce moment-là, l’idée que les îlots de Langerhans produisaient une sécrétion pancréatique interne se répandit dans la communauté scientifique. Cette sécrétion devait donc être la clef du problème; si on pouvait l’identifier — ou mieux, l’isoler —, on résoudrait du même coup l’énigme du diabète.


Extraits pancréatiques : les premières injections


Les nouvelles théories sur le pancréas concordaient parfaitement avec de nouvelles hypothèses passionnantes et des découvertes empiriques sur les organes et leurs sécrétions. On découvrit en effet au début du 20ème siècle que bon nombre de glandes libéraient des substances qui agissaient à distance. En 1902, Ernest Starling, un physiologiste anglais, inventa le mot “hormone” pour décrire ces convoyeurs chimiques. Le système endocrinien, régulateur des hormones, se révéla peu à peu aux yeux des scientifiques aussi important que le système nerveux dans la régulation des fonctions vitales de l’organisme.


Dans le domaine de la recherche sur le diabète, il semblait désormais assuré que la théorie et l’expérimentation auraient pour cible une hormone produite dans le pancréas et régulant le métabolisme du sucre. Minkowski fut l’un des premiers à tenter de restaurer la fonction pancréatique chez des animaux diabétiques en leur administrant des extraits de pancréas. Les résultats de ces expériences furent peu satisfaisants, négatifs même. Certaines tentatives n’avaient aucun effet, d'autres étaient carrément nocives.


En dépit de ces échecs, la recherche d’un extrait pancréatique réellement efficace se poursuivait. Les diabétiques à l’agonie étaient des cas désespérés, aussi jugeait-on probablement qu’il n’y avait rien à perdre à les utiliser comme sujets d’expérience. En juin 1906, Georg Zuelzer fit plusieurs injections sous-cutanées d’extraits pancréatiques à un diabétique comateux de Berlin. Celui-ci revint littéralement à la vie. Son état général s’améliora, il retrouva l’appétit et ses vertiges disparurent. Mais il ne restait plus d’extrait, trop complexe à produire. Le patient sombra dans un coma et mourut 3 jours plus tard. L’aide financière fut supprimée, les “résultats ne justifiant pas les coûts”.


Un physiologiste roman de renom, Nicolas Paulesco, rapporta lui aussi des baisses spectaculaires du taux de glycémie après des injections intraveineuses d’une solution de pancréas et d’eau distillée. Il publia ses premières constatations en 1920. Bien que gêné dans ses progrès par les techniques relativement primitives qu’il utilisait, ses résultats restaient néanmoins remarquables compte tenu du haut taux d’échec de l’époque et du pessimisme avoué d’éminents scientifiques.


Retentissement mondial à Toronto


A la fin 1920, une idée germa dans l’esprit du Canadien Frederick Banting. De retour du front où il avait été envoyé comme chirurgien-capitaine, le chercheur venait de prendre connaissance des expériences menées sur le diabète. L’intuition de Banting fût que l’on ne parvenait pas à isoler l’hormone parce que le suc pancréatique la détruisait. Il imagina donc d’interrompre les canaux du pancréas chez le chien pour faire dégénérer le tissu pancréatique glandulaire, de telle sorte que seuls les îlots de Langerhans restent fonctionnels. Il devait alors être possible de purifier leur sécrétion et de s’en servir pour lutter contre le diabète.


Dans un laboratoire de l’Université de Toronto, Banting travailla avec son assistant Charles Best à mettre au point la technique chirurgicale visant à rendre les chiens diabétiques. Même si les premiers travaux furent frustrants et souvent décourageants, Banting finit par améliorer l’exécution de la difficile intervention. Vers la fin de l’été 1921, les deux chercheurs obtinrent des résultats très encourageants.




Le Professeur Macleod qui dirigeait le laboratoire accepta donc, malgré un enthousiasme très modéré à l’égard de Banting, de continuer à soutenir les efforts des deux scientifiques. Il fournit à Banting de meilleures installations, un plus grand nombre d’animaux et … un salaire. L’équipe de recherche fut augmentée et James Collip, docteur en biochimie, se joignit au projet en octobre 1921. Pendant que Banting et Best perfectionnaient le protocole expérimental, Collip commença à raffiner les extraits afin d’en produire des quantités suffisantes pour les essais cliniques. Finalement, les trois chercheurs obtinrent un extrait plus pur et plus actif qu’ils baptisèrent “islétine”.


Le retour à la vie du petit Leonard Thompson


A quelques kilomètres de là, à l’hôpital de Toronto, la vie du jeune Leonard Thompson, 14 ans et 27kg, ne tenait plus qu’à un fil. Il fut le premier bénéficiaire de l’islétine isolée par l’équipe canadienne. Après une première tentative d’injection décevante, il reçut le 23 janvier 1922 une injection dont les effets dépassèrent toute attente. En quelques heures, le sucre disparut de ses urines et revint à la normale dans le sang. Les scientifiques répétèrent les injections et étendirent l’étude à d’autres malades, obtenant des résultats tout aussi probants. Pour la première fois, des scientifiques parvenaient à contrôler de manière fiable le taux de glycémie des diabétiques !

Source: La découverte de l'Insuline par Michael Bliss
Source: Michael Bliss, La découverte de l'insuline.

La publication de ces travaux — dans laquelle l’islétine se changea définitivement en “insuline” — eut un retentissement considérable. Un succès consacré par un prix Nobel attribué dès 1923 à Banting et Macleod, qu’ils partagèrent avec Best et Collip. Et même s’il s’est avéré par la suite que l’intuition de Banting n’était que partiellement vraie — il n’était en réalité pas nécessaire de faire dégénérer le pancréas pour en extraire de l’insuline — ou encore que Macleod croyait finalement très peu dans les expériences de son chercheur, la conviction du premier et le soutien du second auront quand même permis au petit Leonard Thompson de vivre treize années supplémentaires.


Les quatre chercheurs firent ensuite preuve de désintéressement en décidant de vendre les droits de leur formule à l’Université de Toronto pour la somme symbolique d’un dollar. Ainsi, grâce à leur générosité, l’insuline put être produite et vendue à un coût abordable durant de nombreuses années. Et bien que le traitement ne guérisse pas la maladie, il redonna une nouvelle vie à des millions de diabétiques à travers le monde.


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