La nuit qui dura dix jours : Petite histoire de notre calendrier
Dernière mise à jour : 25 juil. 2020
Texte de Julien F., dessins de Virginie Uh.
Nous sommes le jeudi 4 octobre 1582, le soir tombe sur le bourg espagnol d’Alba de Tormes. C’est là que Thérèse d’Avila a fondé, quelques années auparavant, son couvent de sœurs carmélites, là également qu’elle se trouve depuis quelques jours, le corps malade. Là enfin qu’elle va mourir dans la nuit, après une vie pleine, chrétienne et mystique, qui a inspiré et continuera d’inspirer nombre d’humains jusqu’à nos jours.
Thérèse meurt, nous ne savons pas à quelle heure, nous ne connaissons que ses dernières paroles de moniale dévouée : «L’heure est à présent venue, mon Époux, que nous nous voyons.» Elle sera canonisée quarante ans plus tard, et deviendra au vingtième siècle la première femme reconnue docteur de l’Église catholique. Ne connaissant pas l’heure de sa mort, nous pouvons seulement dire que Thérèse a rendu son âme à Dieu dans la nuit du jeudi 4 au vendredi 15 octobre 1582. Si nous quittons Thérèse, c’est maintenant pour comprendre comment une nuit a pu durer dix jours dans l’Espagne catholique de 1582.
Cette nuit sans pareil nous vient d’une décision du pape d’alors, Grégoire XIII, et de sa réforme du calendrier. Il était en effet bien connu que celui alors en vigueur depuis plus de mille cinq cents ans se décalait d’avec le cycle apparent du soleil dans le ciel. Ce décalage était lent, indistinct à l’échelle d’une vie humaine, mais suffisant pour perturber, au fil des siècles, le lien entre les dates et le cycle des saisons. C’est cette histoire que nous allons raconter, celle de la mise en place du calendrier aujourd’hui en usage dans la très grande majorité des pays du monde.
L’année solaire et le cycle des saisons
Un calendrier est une convention commune à un groupe d’humains, qui l’aide à structurer la vie quotidienne, à programmer des événements, mais il a aussi pour but d’aider à suivre les cycles saisonniers, ce qui est évidemment crucial, par exemple pour récoltes et semailles. C’est en tout cas l’objectif principal que se fixe un calendrier solaire : se trouver en phase avec le cycle de la position apparente du soleil dans le ciel, dont les variations périodiques créent les saisons.
Les saisons existent car notre Terre, évoluant autour du Soleil sur une orbite quasiment elliptique, a son axe de rotation incliné par rapport à la direction perpendiculaire à son plan orbital, d’environ 23,5 degrés. En conséquence, la durée des jours évolue en fonction de la position de la Terre sur son orbite. En fonction de cette position, certaines parties du globe sont plus ou moins exposées au soleil sur une journée, ce que l’on mesure par exemple par la quantité de lumière reçue sur une surface donnée. On estime notamment que la France reçoit grossièrement autant de lumière du soleil en été qu’en reçoivent la France, l’Espagne et l’Italie toutes ensemble en hiver.

Oublions un instant ce que nous connaissons des saisons, fruit d’un savoir accumulé sur des millénaires et dont nous bénéficions. Imaginez-vous arrivant sur une planète dans une situation similaire à la Terre : vous vivez une succession de jours et de nuits, suivant que votre étoile éclaire ou non le monde autour de vous. Restant là suffisamment longtemps, vous réalisez alors que la durée des jours est variable, mais semble correspondre à un phénomène cyclique se renouvelant sur un grand nombre de jours. Concrètement, cela est marqué par la position apparente de votre étoile dans le ciel pendant le jour : à son zénith, elle est plus ou moins haute, et sa hauteur est directement liée à la durée séparant son lever de son coucher. Vous appelez année la période de ces phénomènes cycliques. Des observations rigoureuses et répétées peuvent alors vous permettre d’en estimer la durée, que vous pouvez exprimer en nombre de jours.
Sur Terre, avec une bonne dose d’abnégation et la mise en place d’un protocole scrupuleux de mesures quotidiennes, vous pouvez espérer, à l’échelle de votre existence terrestre, vous rendre compte qu’une année dure un peu plus que 365 jours, mais moins que 366. Si maintenant une civilisation accumule des données sur la position apparente du soleil et la durée des jours sur des générations, cela lui permet d’affiner son estimation de l’année. Cette aventure s’est répétée en de nombreuses civilisations, la reconnaissance de ces régularités et sa quantification conduisant en de multiples lieux, indépendamment ou non, à progresser sur la compréhension de l’année et donc sur la qualité des calendriers.
Cette expérience de pensée nous rappelle que le concept d’année suppose déjà d’avoir repéré des régularités cycliques dans la durée des jours, ce qui a notamment pour effet de rythmer le monde, son climat, auquel la nature adapte ses propres cycles. Cette conception de l’année est traditionnellement appelée année tropique, ou encore année solaire, terme que nous retiendrons. Un calendrier solaire regroupe les jours de façon à approximer cette année solaire. Nous voici prêts pour apprécier l’histoire de notre calendrier solaire.
Quand toute la Gaule était occupée
Pour comprendre ce qu’il s’est passé au XVIème siècle durant la longue nuit du trépas de sœur Thérèse, remontons plus en amont, jusqu’à la Rome de l’Antiquité, dont nous avons hérité beaucoup de nos traditions calendaires. Avant même la naissance de Jésus, que l’on identifie à l’an 1 de notre calendrier, les Romains suivaient un calendrier de douze mois, certains renvoyant à des noms de dieux – comme mars, pour le Dieu de la guerre, considéré alors comme le premier mois de l’année –, d’autres à des numéros (dont nous héritons de septembre, octobre, novembre et décembre, dont l’étymologie renvoie à sept, huit, neuf et dix, numéros qui ne font de sens que dans une année dont le premier mois est mars). Enfin, les mois de juillet et d’aout honorent Jules César, qui va nous occuper maintenant, et Auguste, le premier Empereur, prenant sa succession après l'assassinat de César sur le Champ de Mars à Rome. Avant cela, ces mois, nommés Quintilis pour juillet et de Sextilis pour aout, renvoyaient également à cinq et six.
Jules César fut lui-même l’instigateur d’une réforme du calendrier. En effet, à cette époque, les Romains utilisaient un calendrier dont les douze mois, suivant les phases lunaires à la façon dont le fait aujourd’hui le calendrier arabe, duraient environ 355 jours. Afin de ramener une année moyenne sur le cycle des saisons, d’approximativement 365 jours, on ajoutait donc un treizième mois environ tous les deux ans, la plupart du temps de 23 jours, appelé Mercedonius car il était souvent lié au moment où les mercenaires de Rome recevaient leur paye.
Ce mois intercalaire influait sur le payement des loyers et les jeux électoraux, et pouvait être manipulé par les pouvoirs en place, résultant en des phénomènes de corruption. De plus, dépendant du bon vouloir de politiciens plus ou moins concernés par la cohérence du calendrier avec l’année solaire, cela induisait une importante fluctuation entre les dates de l’année et le but premier d’un calendrier de s’aligner avec le soleil. Au moment où Jules entre en scène, on estime que l’année romaine s’était décalée de 90 jours par rapport à l’année solaire, dans le sens où le 21 mars romain arrivait alors 90 jours avant l’équinoxe de printemps.
La réforme du calendrier va fixer une règle claire basée sur une idée simple. On estime que l’année solaire dure environ 365,25 jours, et il suffit donc de se donner un calendrier de 365 jours, auxquels on ajoute une journée à un moment prédéterminé tous les quatre ans pour atteindre ce total. Cela résout essentiellement les problèmes évoqués : le calendrier n’est plus manipulable, n’est plus un outil de corruption, et reste en phase avec l’année solaire sur de longues durées.
Ce nouveau système fut mis en place à partir de l’an -45 avant J.-C.. L’année -46 servit à remettre les pendules à l’heure – ou plutôt les calendriers à jour – et dura 445 jours. En plus du mois de Mercedonius, Jules César imposa deux mois entre novembre et décembre, dit intercalaris prior et intercalaris posterior pour atteindre ce total. On appela année bissextile une année comportant ce jour additionnel, pour bis-sextilis, car on doublait alors un jour, un 23 février “bis”, qui se situait six jours avant le premier mars.
La réforme grégorienne au secours de la Pâques
L’année julienne, c’est-à-dire l’estimation de la durée de l’année solaire par le calendrier julien, a donc une durée fixe d’exactement 365,25 = 365 + ¼ jours. Ceci est plus proche de l’année solaire, qui dure environ 365,22 jours, que l’approximation au jour près de 365 jours. Ce quart de jours supplémentaire est déjà le fruit de nombreux calculs dont il n’est pas facile de retrouver trace dans les sources. Environ un siècle avant la réforme à Rome, l’année solaire a été estimée par le mathématicien grec Hipparque comme étant plus courte de cinq minutes que ces 365,25 jours, une précision remarquable et déjà meilleure que la durée retenue d’une année julienne.
Les siècles passants, les astronomes du Moyen Âge puis de la Renaissance ont affiné leurs estimations de l’année solaire. Il était connu alors que l’année julienne ajoutait un jour supplémentaire par rapport à l’année solaire tous les 128 ans environ. Cela peut sembler peu, et n’a notamment pas d’impact à l’échelle d’une vie. Mais après presque seize siècles de chrétienté, cela posait déjà quelques difficultés. Il est en effet conventionnel de marquer les moments de l’année où la nuit est la plus longue dans l’hémisphère nord autour du 21 décembre, et la plus courte autour du 21 juin : ce sont les deux solstices. De même, les équinoxes de printemps et d’automne, autour des 21 mars et 21 septembre, sont caractérisés par une égale durée entre le jour et la nuit. Ceci n’était plus le cas pour le calendrier julien : seize siècles après son application, il avait maintenant un décalage de douze jours sur les cycles saisonniers et solaires par rapport aux temps de Jules César. En laissant la situation en l’état, le 21 mars deviendrait la nuit la plus longue de l’année en environ 10 000 ans, alors que Noël coïnciderait à quelques jours près avec l’équinoxe d’automne. On devine dès lors qu’il fut jugé utile et souhaitable de remédier à cette situation peu satisfaisante.
En réalité, ce sont des raisons religieuses qui vont inspirer la réforme du calendrier, et plus précisément afin de faciliter le calcul de la date de la Pâques, célébrant pour les chrétiens la résurrection de Jésus Christ deux jours après sa crucifixion. L’estimation anticipée de cette date n’avait – et n’a toujours, il existe des algorithmes savants à ce sujet ! – rien de simple. Lors du Moyen Âge, ce calcul avait un nom en lui même, le Computus, et les computistes étaient des religieux spécialisés dans la détermination des Pâques futures.
La date de Pâques tombe, par convention, le premier dimanche suivant la première pleine lune après l’équinoxe de printemps, ainsi qu’il en fut pour le Christ suivant les chroniques. L’équinoxe de printemps se comprend alors comme la journée où la durée du jour égale celle de la nuit, alors que les jours s’allongent. La difficulté du calcul tient notamment à ce qu’il faille trouver l’équinoxe de printemps, et donc avoir une compréhension fine des cycles solaires, mais également les dates de pleine lune et donc d’anticiper les cycles lunaires dont la période est d'environ 29.5 jours. Ainsi, une Pâques calibrée sur l’équinoxe de printemps se voyait petit à petit affectée par les pertes d’un jour tous les 128 ans depuis la mise en place du calendrier julien. Toujours dans 10 000 ans, Pâques et Noël en viendraient à tomber approximativement au même moment.
La décision de 1582 fut tout d’abord de ramener le calendrier au moment où le calcul de la Pâques fut fixé, lors du concile de Nicée en l’an 325. C’est pour cela que dix jours furent franchis durant la nuit du décès de Thérèse : il s’agit du nombre de jours manquant par un décalage d’une journée tous les 128 ans sur la durée de 1257 ans écoulée entre 325 et 1582. La deuxième résolution fut de corriger le calendrier en place afin d’éviter que la situation ne se renouvelle. On décida donc, afin de mieux approcher l’année solaire, de garder les années bissextiles, mais d’en changer subtilement la règle. Sur l’inspiration notamment du mathématicien et astronome Christophorus Clavius, on opta pour la solution suivante. Tous les quatre ans sont bissextiles, à l’exception des années multiples de 100, à moins qu’elle ne soit en fait – exception à l’exception – un multiple de 400. Ceci définit le calendrier grégorien, qui prend le nom du pape Grégoire XIII ayant décrété son instauration.
Ainsi, les années 1700, 1800 et 1900 ne furent pas bissextiles, de même que 2100 ne sera pas non plus bissextile. Par contre, les années 1600 et 2000 furent bien bissextiles, étant multiples de 400. Pour un humain né au vingtième siècle, à l’exception des futurs centenaires nés peu avant la fin du siècle, la nouvelle règle ne changera rien aux années bissextiles durant sa vie. Par contre, nos ancêtres vivants en 1900 dans un pays adepte du calendrier grégorien ont été sensibilisés à ce problème, le 28 février 1900 étant, contrairement à quatre ans auparavant, suivi du 1er mars.
Une année grégorienne dure ainsi 365 + 1/4 – 1/100 + 1/400 = 365,2425 jours, plus proche des 365,2422 jours de l’année solaire que l’année julienne. Il faut cette fois environ 3000 ans pour que le calendrier grégorien ajoute un jour par rapport à l’année solaire. Ceci n’est pas parfait, mais est jugé largement suffisant pour s’en satisfaire encore aujourd’hui.
Année solaire et année sidérale
Le calendrier grégorien est imparfait. Nous avons vu que l’année grégorienne était légèrement plus longue que l’année solaire. Cependant, la notion d’année solaire que nous avons jusqu’ici considérée, à savoir la durée moyenne du cycle des saisons, a une certaine imprécision. En cherchant à mieux cerner ce qu’est une année, nous verrons que l’année solaire est en fait variable dans le temps, suivant au moins trois sources de fluctuations : la légère rotation sur lui-même de l’axe de rotation de la Terre, le progressif et très lent éloignement de la Lune et l’influence des autres planètes du système solaire.
Cela peut être surprenant, mais l’année solaire ne correspond pas au temps que prend la Terre pour retrouver un même point de son orbite autour du Soleil, ce que l’on appelle une année sidérale. Cette année sidérale est environ 20 minutes plus longue que l’année solaire moyenne, ce qui est plus marqué que l’écart entre une année julienne et l’année solaire. Ce décalage a été découvert dès l’Antiquité grecque par Hipparque, qui observait à partir des données accumulées sur les siècles passés des retards dans la position du Soleil au moment précis de l’équinoxe de printemps. Ce phénomène est très subtil et nécessitait des observations sur des centaines d’années, puisqu’il fallait observer un écart d’environ 50 secondes d’angle par an – qu’Hipparque avait estimé à 46 secondes d’angle par an –, qui correspond à ces quelques 20 minutes qu’il faut au Soleil pour parcourir cet angle vu de la Terre. Ceci a notamment pour effet que les étoiles, qui dans notre ciel semblent fixes les unes par rapport aux autres, voient leur position apparente changer lentement d’année en année. On l’appelle la précession des équinoxes, puisqu’il implique une légère fluctuation du moment de l’équinoxe de printemps, qui arrive légèrement plus tôt qu’attendu.
La précession des équinoxes n’a pu être comprise qu’avec la théorie de la gravitation de Newton appliquée au calcul du mouvement des planètes et du Soleil. Il est lié à l’influence gravitationnelle de la Lune et du Soleil, qui agit sur les renflements équatoriaux de la Terre. Cette dernière n’est pas totalement sphérique et légèrement aplatie aux pôles, lui donnant un mouvement très lent de toupie. S'en suit une légère oscillation de l’axe de rotation de la Terre sur une période mesurée à un peu moins de 26 000 ans, la vitesse la précession n’étant pas constante elle-même. On estime cependant qu’en l’absence de la Lune, les oscillations de l’axe de rotation terrestre seraient beaucoup plus prononcés, ce qui entrainerait un cycle des saisons bien plus chaotique, le satellite jouant un rôle de stabilisateur. Toujours est-il que la précession des équinoxes implique également de légères variations de l’année solaire.
Les facéties de l’année solaire
Il y a au moins deux autres raisons importantes pour lesquelles la durée de l’année solaire, comme de l’année sidérale d’ailleurs, sont fluctuantes. La première tient en ceci que la durée du jour, comprise comme le temps moyen mis par la Terre pour faire un tour sur elle-même, est connue pour décroitre depuis l’événement cataclysmique conduisant à la formation de notre satellite naturel. Notons que la notion même de jour appelle elle aussi, comme pour l’année, à de riches considérations. On se contentera ici de la définition proposée, ce qui est en première approximation ce qu’on appelle un jour solaire. Comme pour l’année, il existe aussi une notion distincte de jour sidéral et la durée d’un jour n’est pas une quantité immuable.
Les forces de marées de la Lune ont pour conséquences deux effets mesurables et indissociables. Le premier est l’augmentation régulière de la distance Terre-Lune, évaluée à environ 4mm par an. Le second est le ralentissement progressif de la rotation de la Terre sur elle-même, dont découle l’augmentation de la durée d’un jour. On estime actuellement que celle-ci augmente de deux millièmes de seconde par siècle environ. Là encore, c’est infime, mais les effets cumulatifs à l’échelle des temps géologiques deviennent importants. La durée d’un jour est évaluée à 23 heures il y a cent millions d’années, alors que les dinosaures peuplaient la Terre, et l’année elle-même était d’environ 380 jours.
Ce phénomène encore à l’œuvre de nos jours a pour conséquence l’existence d’un moment futur, ayant lieu dans environ trois millions d’années en extrapolant à partir des rythmes d’évolution actuels, où la durée de l’année fera exactement 365 jours. Les calendriers d’alors seront rendus particulièrement simples, par la relation quasi-entière entre la durée d’une journée et la durée d’une année solaire. En allant encore plus loin dans le futur, il y aura de moins en moins de jours dans une année, et plus en plus d’heures dans une journée. Ceci questionne profondément nos façons de mesurer le temps, puisque la durée d’une année comme d’un jour apparaissent relatives.
La durée d’une année solaire est également variable du fait des autres planètes du système solaire. Ces dernières, plus ou moins éloignées de la Terre suivant les positions respectives des divers astres sur leurs orbites, ont donc une influence gravitationnelle fluctuante sur la Terre, la force qu’elles exercent étant inversement proportionnelle au carré de la distance nous séparant d’elles suivant la loi de la gravitation de Newton. Par exemple, la distance entre la Terre et Jupiter peut varier de deux fois la distance Terre-Soleil, suivant que Jupiter et la Terre sont alignés avec le Soleil en étant du même côté, ou d’un côté et de l’autre du Soleil. Ainsi, l’orbite terrestre est constamment perturbée par de petites variations, en majorité due à Jupiter, bien plus massive que les autres planètes. Ceci induit des variations irrégulières dans la durée de l’année, impactée par les fluctuations de l’orbite terrestre.

Les sources décrites de variation de l’année solaire impliquent que la notion même d’année n’a rien d’universel. On estime qu’elle diminue actuellement d’environ une demi seconde par siècle. Nous avons également effleuré l’idée que des problèmes comparables se posaient pour la durée d’un jour, notion également à définir. Les durées de temps plus courtes posent également des questions fascinantes. Ainsi, la seconde a longtemps été définie comme une subdivision de l’année solaire, mais les fluctuations que nous avons relatées ont eu pour effet une variabilité de la durée d’une seconde, qui était alors soumise à des considérations très terrestres ! Depuis, la définition de la seconde a été changée et est basée sur un phénomène réputé universel dans nos modèles physiques, lié à la désintégration d’atomes radioactifs. C’est à partir de cette notion de seconde qu’on estime aujourd’hui l’année solaire, dans un joli retour d’ascenseur.
La diffusion du calendrier grégorien
Le pape a imposé la réforme du calendrier dans les États pontificaux, qui à l’époque occupaient une partie non négligeable de l’Italie d’aujourd’hui. La très catholique Espagne suit la papale décision le jour même, à savoir le 4 octobre 1582, avec les conséquences que l’on sait pour sœur Thérèse d’Avila : le jour suivant le 4 octobre de cette année là fut non pas le 5 octobre, mais le 15, pour s’ajuster sur l’année lors du Concile de Nicée. Le Royaume de France et quelques autres pays suivent le mouvement lors du mois de décembre 1582, là aussi supprimant dix jours en une nuit entre les 9 et 20 décembre.
Les pays européens protestants n’adopteront pas, dans un premier temps, le calendrier imposé par un pape catholique. Selon un mot célèbre, les protestants préféraient alors être en désaccord avec le Soleil plutôt qu’être d’accord avec le pape. Pendant quelques décennies, on a donc une certaine confusion sur les dates en Europe, puisque deux calendriers décalés de dix jours sont en concurrence. Isaac Newton est par exemple né le jour de Noël 1642 selon le calendrier julien, alors officiel en Angleterre, mais en janvier 1643 pour le calendrier grégorien. À des époques où la mesure du temps n’avait évidemment pas la même importance qu’aujourd’hui, il était sans doute plus important de savoir quel calendrier était utilisé dans un pays donné que son fuseau horaire.
L’année 1700 fut la première à n’être pas bissextile selon le calendrier grégorien, alors qu’elle l’était pour le calendrier julien, portant l’écart des deux calendriers à 11 jours. Ce fut l’occasion d’une nouvelle adhésion pour certains pays. Parmi eux, la Suède, qui avait prévu de ne pas avoir d’années bissextiles pendant quarante ans afin de s’aligner avec le calendrier grégorien. Cependant, cette règle ne fut respectée qu’en 1700, et pas par la suite. Ainsi, la Suède avait un jour d’écart avec les pays suivant le calendrier julien, pour lesquels 1700 fut bissextile, et dix avec ceux suivant le calendrier grégorien. Afin de remédier au problème, il fut décidé de revenir au calendrier julien en 1712, ce qui s’opéra en ajoutant un journée supplémentaire cette année là, placée juste après le 29 février, et qui fut donc le 30 février 1712. Cette année là, une sorte d’année trissextile en Suède, il y avait donc trois dates concurrentes en Europe, suivant qu'on se trouvait par exemple en Angleterre, en Suède ou en France.

L’Angleterre entérina le calendrier grégorien en 1752, qui dès lors s’appliquaient également dans ses colonies dont étaient alors notamment les États-Unis. Les pays chrétiens orthodoxes et les pays non chrétiens, hors des colonies européennes qui suivent les règles imposées par les colonisateurs, adopteront pour la plupart le calendrier grégorien bien après. Ainsi du Japon en 1873, ou de la Russie en 1918, une fois le pouvoir tsariste renversé. La Révolution d’octobre en 1917, portant Lénine et les bolcheviques au pouvoir, a ainsi eu lieu en novembre suivant le calendrier grégorien. Ceci a des répercussions jusqu’à nos jours : il est typiquement de coutume en Russie de célébrer Noël dans la nuit du 6 au 7 janvier, suivant les rites de l’Église orthodoxe. Aujourd’hui, seuls quelques pays n’ont pas officiellement adopté le calendrier grégorien, parmi lesquels l’Iran, dont nous reparlerons.
Des calendriers d’autres temps et d’autres lieux
Il n’y a pas de civilisation sans calendrier, aussi est-il sans fin de visiter les solutions multiples que les Hommes ont déployées pour quantifier le temps qui passe. Le calendrier islamique, dont l’année première marque le premier jour de l’hégire en juillet 622 lorsque Mahomet et ses compagnons quittent la Mecque pour Médine, est basé sur les cycles lunaires et conduit à une année de 12 mois de 29 ou 30 jours, pour un total de 354 ou 355 jours. Ce calendrier ne suit donc pas les cycles saisonniers, et l’année, plus courte de dix jours environ par rapport à l’année grégorienne, a un sens bien différent. Le mois de Ramadan, qui marque la vie des musulmans pratiquants de par le monde, se déplace tout au long de l’année grégorienne sur des cycles d’environ 36 ans. Ce n’est pas un hasard si un calendrier lunaire a été adopté dans la péninsule arabique : cet endroit largement désertique est bien moins affecté par le cycle des saisons que, par exemple, la Rome Antique, et a donc moins de nécessité de calibrer son calendrier sur le Soleil. Le début de l’année 2020 correspond à l’année 1441 du calendrier islamique. L’année islamique étant plus courte de dix jours, les deux calendriers seront parfaitement concordants au 1er mai 20874.
Certains calendriers sont luni-solaires : les mois sont basés sur les cycles de la lune pour une durée d’environ 29,5 jours, on parle alors de mois cynodiques. C’était notamment le cas en Grèce antique avec le calendrier attique. Comme pour le calendrier islamique, on crée ainsi un décalage de 10 ou 11 jours avec l’année solaire, qui était pour les grecs compensé par l’ajout d’un mois en plus tous les trois ans, puis de trois mois en plus tous les huit ans afin d’affiner la précision du calendrier. Une année de treize mois est dite embolismique, un embolisme étant l’ajout d’un mois intercalaire. L’avantage d’un calendrier luni-solaire est qu’il permet à la fois de suivre le rythme des saisons et de suivre les phases de la Lune. Ainsi, cette dernière permet aux humains de savoir rien qu’en la regardant à quel moment du mois ils sont.
Des calendriers solaires sont utilisés depuis l’Antiquité. La règle adoptée par Jules César avait déjà été choisie deux siècles auparavant par les pharaons d’Égypte, la civilisation égyptienne étant consciente depuis longtemps de l’inexactitude d’estimer l’année solaire à 365 jours. Plus récemment, le calendrier adopté par l’Empire perse en 1074, lui aussi calqué sur les cycles solaires, présente un aspect remarquable : il est plus précis que le calendrier grégorien qu’il précède pourtant de cinq siècles. Ce calendrier a semble t-il été pensé par le mathématicien, poète et astronome perse Omar Khayyam et est basé sur un cycle de 33 ans. Le calendrier aujourd’hui utilisé en Iran, adopté en 1925, est basé sur un cycle de 2820 ans et consiste en un raffinement d’un premier cycle de 128 ans. Ce dernier nombre est bien lié aux 128 ans conduisant au décalage d’un jour dans le calendrier julien. Dans ce calendrier, une année perse est d’environ 365,2421989 jours, ne produisant un décalage avec l’année solaire actuelle que d’un jour en 124 000 ans environ, ce qui est notablement plus précis que pour le calendrier grégorien et repose sur un système plus évolué d’années bissextiles.
Ces exemples nous rappellent l’arbitraire qu’il y a à suivre le calendrier grégorien, comme n’importe quel calendrier d’ailleurs. Il nous est aujourd’hui possible d’estimer très précisément l’année solaire, évaluée en l’an 2000 à 365 jours 5 heures 48 minutes 45,198 secondes = 365,2421898 jours, et l’on pourrait aisément définir un calendrier plus précis – le calendrier perse l’est déjà ! Cependant, cet arbitraire est nécessaire, et repose sur la volonté d’énoncer des règles relativement simples pour approcher la durée de l’année par le décompte des jours. Nous vivons dans un monde presque unifié en termes de calendrier, après une riche histoire dont les contours viennent d’être esquissés.
Inventer un calendrier martien
Nous avons imaginé plus haut nous retrouver sur une planète dont nous devrions comprendre la cyclicité des phénomènes de jours et d’années pour créer un calendrier. Nous avons alors conçu reconnaître l’année par la succession des jours desquels nous suivrions scrupuleusement la position apparente de notre étoile, inspiré de ceci que l’année terrestre comptait quelques centaines de jours.
Il est en fait possible que la durée d’un jour (durée moyenne de l’alternance du jour et de la nuit due à la rotation d’une planète sur elle-même) soit plus long que la durée d’une année sur certaines planètes. C’est notamment le cas de Mercure, qui tourne autour du soleil en presque 88 jours terrestres (année mercurienne) et sur elle-même bien plus lentement que la Terre, en environ 176 jours terrestres (jour mercurien). Créer un calendrier mercurien poserait des questions radicalement différentes de celles que nous rencontrons sur Terre, les jours étant plus longs que les années !
Nous pouvons aussi imaginer à quoi ressemblerait la construction d’un calendrier martien. Le jour martien est estimé à 24 heures 39 minutes 35 secondes, ce qui est étonnamment proche d’une journée sur Terre compte tenu du fait que ces deux grandeurs soient essentiellement indépendantes. Par contre, l’année martienne dure environ 668,5991 jours martiens, ceci étant lié à ce que Mars soit plus éloignée du Soleil que la Terre. On peut imaginer qu’une civilisation martienne serait amenée à constituer un calendrier où une année durerait 668 ou 669 jours.
Afin de corriger le décalage avec la véritable année, une première solution consisterait à retirer deux jours tous les cinq ans, une possible règle étant d’ôter un jour à toutes les années paires, à l’exception de celles qui sont multiples de dix. Les années « bissextiles » de 669 plutôt que 668 jours seraient donc majoritaires. Ceci conduirait à une année calendaire martienne de 668,6 jours martiens. Cette valeur est très proche de l’année martienne, et ne créerait un décalage de un jour supplémentaire que tous les 1111 ans martiens environ (équivalent à presque 2037 années terriennes). Cette simple correction sur un cycle de 10 ans aurait donc déjà une précision d’un ordre de grandeur comparable à notre calendrier grégorien sur Terre.
Une proposition de calendrier martien, qui serait indispensable à l’apparition d’une colonie humaine, a été faite par l’ingénieur Thomas Gangale en 1986. Il lui a donné le nom de son fils Darius, aussi parle t-on de calendrier darien. Il comporte 24 mois de 28 jours martiens à l’exception de 3 mois (4 les années de 668 jours) de 27 jours. Depuis, des calendriers ont également été proposés pour les lunes galiléennes de Jupiter ainsi que pour le satellite Titan autour de Saturne.
Pour résumer
Notre calendrier a pour but d’approcher l’année solaire, c’est-à-dire de suivre le rythme des saisons.
L’histoire de notre calendrier est riche, reliée à celle du christianisme, et plus avant à la Rome antique.
Le calendrier grégorien, aujourd’hui utilisé dans la plupart des pays du monde, est basé sur une modification de la règle d’une année bissextile tous les quatre ans : on retire trois années bissextiles tous les quatre cents ans. Notamment, l’an 2100 ne sera pas bissextil.
Le calendrier grégorien crée un léger décalage avec l’année solaire, de trois jours tous les dix mille ans environ. Ce décalage est jugé tout à fait tolérable pour nos affaires humaines.
Des notions très banales comme celle d’année ou même de jour sont de fait très terrestres, étant totalement dépendantes et déductibles de la façon dont la Terre se comporte dans son mouvement autour du Soleil. Elles sont de plus changeantes au cours du temps.
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Quelques sources utilisées et conseils pour approfondir
Un usage compulsif de la Wikipedia francophone et anglophone a été fait, ainsi que d'autres sites divers. Nous ne listerons pas toutes les pages consultées, mais voici tout de même quelques pages utiles pour approfondir le sujet. Notamment :
Quelques calendriers : le calendrier julien et sa riche histoire, le calendrier persan avec le détail des règles, le calendrier julien révisé dont nous n’avons pas parlé mais qui propose une excellente approximation simple de l’année solaire et est suivi par quelques églises orthodoxes aujourd'hui, le calendrier républicain français et sa place par rapport aux autres calendriers, le calendrier darien de Thomas Gangale qui a aussi proposé des calendriers pour d'autres planètes et satellites du système solaire. Enfin, il y a beaucoup de choses à dire sur le passage du calendrier julien au calendrier grégorien dans le monde.
Un article intéressant sur le calcul de la date de Pâques. Le mathématicien John Conway récemment décédé a proposé un algorithme dont les détails se trouvent ici.
De nombreuses notions d'années ont été définies en plus des années solaires et sidérales, démontrant l'ambigüité de la question. Une liste peut être trouvée ici. Des formules existent sous forme de développements limités pour l'année solaire, comme expliqué ici.
Nous conseillons aussi le petit livre de Marie-Christine De La Souchère, Histoire de l'astronomie, Des premières observations à la conquête de l'espace, qui esquisse beaucoup des questions posées et des progrès faits par les humains sur leur compréhension du cosmos. Voici enfin aussi quelques vidéos intéressantes et complémentaires sur ces questions.
Courte vidéo sur la précession des équinoxes (en anglais).
Un portrait de Sainte Thérèse d'Avila dans l'émission Au Coeur de l'Histoire.
Dans C'est pas Sorcier : les calendriers, ça date !, Fred et Jamy racontent eux aussi l'histoire de notre calendrier, vraiment top et très bien illustré, comme toujours. D'ailleurs, en complément, l'émission Planète sous toutes ses latitudes qui évoque les cycles saisonniers à de multiples lieux sur Terre.
L'excellente vidéo en anglais sur les années bissextiles de la chaine StandUpMaths explore beaucoup de variations sur le thème. Notamment, comment faire un calendrier plus simple et plus précis en changeant la méthode et en se basant sur la représentation en système binaire de l'année (11111100100 pour 2020).
Une conférence de Jean Michel Rocard sur le calendrier grégorien international, avec des précisions physiques et historiques sur la question.
Autre unité de mesure du temps, nous avons évoqué que la seconde était fondée sur des propriétés atomiques, et permet par la suite de quantifier la durée d'une année. La chaine e-penser, dans une série sur les unités fondamentales du système international de mesure, détaille cette question dans cette courte vidéo.
Le calendrier cosmique de Carl Sagan est utilisé pour mieux se représenter les événements depuis le Big Bang, magnifiquement mis en image par la chaine YouTube Balade Mentale.
Une vidéo géniale en anglais par le youtubeur Vsauce, qui explique et illustre visuellement le mouvement que la Terre, et nous avec, faisons dans l'espace.