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La part noble de l'atmosphère terrestre

Dernière mise à jour : 1 janv. 2021

Textes et dessins de Julien F.


L'atmosphère terrestre est composée d'azote et d'oxygène pour près de 99% de son volume. Elle contient en quantité très faible de nombreux autres gaz, dont les gaz à effet de serre, dioxyde de carbone en tête. L'étude précise de l'atmosphère menée à la fin du XIXème siècle révèle la présence d'un autre gaz, qui occupe une très grande partie des 1% restant du volume total de l'air. Resté jusqu'alors ignoré, ce gaz noble de numéro atomique 18 est l'argon.

Cent molécules de l'atmosphère : trouvez l'intrus

À peu de choses près, l’atmosphère est constituée de 4/5 d’azote et 1/5 d’oxygène. Peu de choses près, d'accord, mais ce sont précisément elles qui nous intéressent. Soyons donc plus précis. Les pourcentages que nous donnerons quantifient des fractions de volume de l'atmosphère terrestre, et non des fractions de masses. L’azote est présent dans l'air sous forme de diazote, c'est-à-dire que deux atomes d’azote forment ensemble une molécule de diazote (symbole N2, le N étant lié de la traduction nitrogen pour azote en anglais). De même, l’oxygène que nous respirons est sous forme de dioxygène (symbole O2).


Le diazote représente environ 78,08% du volume de l’atmosphère terrestre. Le dioxygène compte lui pour 20,95%. Il reste donc presque 1% d’autres choses (en fait 0,97%), dont le dioxyde de carbone (CO2) pour 0,041% du total, responsable principal de l'effet de serre. L’air contient aussi de la vapeur d’eau, qu’on ne comptabilise pas ici car elle présente une concentration très variable et peut changer de phase pour se faire liquide ou glace, ce dont elle ne se prive pas. On estime que la vapeur d’eau compte pour environ 0,25% de la masse totale de l’atmosphère. Toutes les autres molécules sont en parties infimes en comparaison au dioxyde de carbone, et a fortiori du dioxygène et du diazote.


Cela ne nous renseigne pas sur ce qui constitue la grande majorité du volume restant. Et pour cause : le constituant principal qui occupe 97% de ces 0,97% restant (vapeur d’eau mise à part donc) est un gaz interagissant très peu avec les autres, tellement peu qu’il fut longtemps ignoré. Un gaz apparemment sans grand impact et pourtant le troisième, et de très loin, plus présent de l’atmosphère de la Terre : l’argon. Voici l’histoire de sa découverte, qui conduisit à deux prix Nobel en physique et chimie lors de la seule année 1904. Nous verrons aussi comme d'autres gaz également peu réactifs furent découverts à la suite de l'argon, qui seront appelés des gaz nobles. Enfin, nous verrons comme les gaz nobles, électroniquement très stables, apparaissent dans des réactions nucléaires, nous donnant ainsi la clef de l'origine de l'argon atmosphérique.

Composition (en % du volume) de l'atmosphère terrestre

La découverte d’un gaz paresseux dans l’atmosphère


Dans les années 1890, le physicien Lord Rayleigh travaille à l'University College de Londres sur les propriétés du diazote, dans le cadre de ses études sur la densité des gaz. En 1892, dans son laboratoire, il en détermine notamment la masse volumique avec une importante précision. Cependant, Rayleigh arrive à deux mesures significativement différentes suivant la façon dont il isole le diazote.


Tout d'abord, la présence dans l’air de dioxygène, de vapeur d’eau et de dioxyde de carbone étant alors bien connue, une première méthode consiste à isoler le diazote en le séparant des trois autres constituants principaux alors identifiés : suivant Rayleigh, nous appelons azote atmosphérique le diazote isolé par ce procédé. Une seconde approche repose sur la séparation en laboratoire d'une molécule d'ammoniac NH3 (c’est-à-dire un atome d’azote et trois atomes d’hydrogène). On peut alors en estimer la masse volumique, avec cette fois la certitude que cet azote est quasiment pur. À la surprise de Rayleigh, cet azote pur apparait légèrement moins lourd que l'azote atmosphérique : 1 litre d'azote pur pèse 1,250 g, contre 1,255 g pour l'azote de l'air. Ces cinq grammes de différence se retrouvent dans les nombreuses expériences du physicien, et constitue pour lui un mystère à élucider.

Rayleigh expose ses résultats expérimentaux dans une conférence de 1894 à laquelle assiste un chimiste anglais, Sir William Ramsey. Ce dernier émet alors l’hypothèse que l’azote atmosphérique contiendrait en fait un autre élément, plus lourd que l’azote. Pour tester son hypothèse et en collaboration avec Rayleigh, il induit une réaction chimique entre l'azote atmosphérique et du magnésium chaud, réaction connue pour former un solide de formule Mg3N2, appelé nitrure de magnésium (trois atomes de magnesium et deux atomes d'azote). Ramsey constate alors qu'effectivement, un gaz reste présent après réaction de l’intégralité de l’azote, gaz qui apparait ne réagir avec aucun autre élément. Ramsey propose alors de nommer ce nouvel élément chimique argon, du grec argos pour paresseux, oisif. Rayleigh et Ramsey rendent leurs résultats publics dès janvier 1895 dans un article intitulé Argon, a new constituent of the atmosphere (Argon, un nouveau constituant de l'atmosphère), publié dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society of London en 1897.























Sir Ramsey traque les gaz nobles


Après la mise en évidence de l'argon, Ramsey poursuit ses investigations. En 1895, il parvient à isoler un autre gaz également très peu réactif : l’hélium. Ce dernier avait été découvert en 1868 par Pierre-Jules-César Janssen dans une analyse spectroscopique de la lumière émise par le Soleil. Janssen a lui-même choisi de nommer cet élément inconnu l'hélium, se souvenant d'Hélios, la personnification déifiée du Soleil dans la mythologie grecque. La découverte d'hélium sur Terre n'a alors rien d'évident tant cet élément y est rare. En fait, Ramsey cherchait alors de nouveau de l'argon en travaillant sur des minéraux mais a su reconnaitre la signature de l'hélium dans l'analyse spectroscopique d'un gaz qu'il avait isolé.


C’est encore Sir Ramsey qui, conjointement avec le chimiste anglais Morris William Travers, découvre en 1898 trois nouveaux éléments atomiques très peu réactifs. Les deux hommes nomment ces atomes, que l'on donne ici par poids croissants, le néon (pour nouveau), le krypton (pour caché) et le xénon (pour étranger). Ces trois éléments sont identifiés par distillation de l’air, ce qui permet d’isoler de l’argon sous forme liquide. Cet argon n’est en fait pas totalement pur lui-même et contient possiblement d’autres éléments chimiques en petite quantité. En quelques mois très productifs de 1898, Ramsey et Travers isolent donc successivement de cet argon liquide le krypton en mai, le néon en juin, puis le xénon en juillet. Dix années plus tard, un physicien allemand propose d'appeler gaz nobles cette classe d'éléments aux propriétés semblables, par analogie avec les métaux nobles tels que l'or, ainsi nommés car peu soumis à la corrosion et l'oxydation. C'est ce terme qui est retenu par la suite, au détriment des gaz inertes, comme ils furent également appelés. En effet, on reconnaitra bien plus tard qu'il est en fait possible de faire interagir ces gaz très peu réactifs chimiquement dans des conditions bien particulières. À très basse température (environ 20 Kelvin), on peut par exemple former une molécule de fluorohydrure d'argon HArF (un atome d'hydrogène, un atome d'argon, un atome de fluor), qui est cependant très instable. La chimie des gaz nobles est un sujet d'étude qui s'est considérablement développé à partir des années 1960. Les gaz nobles ont aussi été appelé des gaz rares, du fait de leur rareté sur Terre, mais cela s'avéra malheureux puisque l'hélium est en fait le second constituant le plus présent dans l'Univers après l'hydrogène.

Il n’est pas surprenant que les gaz nobles aient été découverts relativement tardivement. Leurs propriétés chimiques les rendent en effet très stables à l'état atomique. Le tableau périodique des éléments de Mendeleïev aide à expliquer les propriétés spéciales des gaz nobles : ils apparaissent dans la même colonne, la plus à droite, formant ainsi une famille commune. Comprendre les propriétés des différentes colonnes du tableau périodique se fait de nos jours dans les modèles atomiques représentant le cortège d'électrons autour du noyau organisé en couches électroniques successives. Tous les atomes plus lourds que l'helium ont un maximum de huit électrons autour de leurs noyaux. Si un tel atome comporte moins de huit électrons externes, cela lui permet d'interagir facilement avec d'autres atomes puisqu'il peut alors lier des électrons à sa couche externe. Ainsi, l'azote comporte cinq atomes sur sa dernière couche et peut donc créer trois liaisons. L'oxygène, avec six atomes sur sa couche externe, forme des liaisons à deux atomes. On appelle la valence d'un atome le nombre d'électrons manquant sur sa couche externe. La spécificité des gaz nobles, c'est que leur couche électronique externe comporte huit éléments : ils ont une valence de 0 et sont ainsi très peu enclins à se lier électroniquement à d'autres atomes.

La première difficulté pour identifier des gaz nobles, a donc été d'avoir une bonne raison de les chercher, puisqu'ils ne jouent pas de rôle dans toutes les réactions chimiques connues à l'époque. Sans la présence d'argon en quantité importante dans l'atmosphère, il est difficile de prévoir combien de temps aurait été nécessaire pour découvrir l'existence même de ces gaz.


L’année 1904 consacre Lord Rayleigh et Sir Ramsey, chacun recevant le prix Nobel dans sa discipline. Les travaux de Ramsey sont célébrés en chimie en reconnaissance des services rendus par la découverte des gaz inertes dans l’air, et la détermination de leur place dans le système périodique. Rayleigh reçoit lui le prix Nobel de physique pour ses études de la densité des gaz les plus importants et pour la découverte de l’argon en lien avec ces études. Deux prix Nobel en deux disciplines différentes la même année pour une même découverte, un événement unique qui témoigne de l'importance des gaz nobles pour comprendre la matière dans un sens plus large.


Les origines radioactives de l’argon terrestre


L'argon, comme les autres gaz nobles que nous avons rencontrés, est présent dans l'Univers principalement du fait des réactions nucléaires dans les étoiles en fin de vie. Les étoiles, surtout les plus massives, sont en effet connues pour réaliser des réactions de fusion nucléaire, produisant des éléments atomiques lourds à partir d'autres plus légers. Cependant, la Terre comporte très peu d'atomes de la famille des gaz nobles produit dans ces réactions de fusion, tant dans son atmosphère que dans sa composition interne. En fait, la plupart des atomes de gaz nobles présents dans l'air sont issus de désintégrations radioactives d'éléments plus lourds se situant dans les profondeurs de la Terre. C'est notamment le cas pour l'argon.


Les atomes d'argon de l'atmosphère ont donc en très grande majorité une origine bien terrestre. Rappelons que les atomes sont caractérisés tout d'abord par leur numéro atomique, 18 pour l'argon, qui décompte le nombre de protons constituant le noyau. Des atomes d'un numéro atomique donné peuvent différer dans leur nombre de neutrons, donnant différent isotopes d'un même atome. L'argon a par exemple 24 isotopes connus, le plus présent sur Terre étant de très loin l'argon 40 (pour 18 protons et 22 neutrons). Cet argon se retrouve dans de nombreuses roches du fait de la désintégration du potassium 40 (19 protons et 21 neutrons).


Ces réactions nucléaires transformant le potassium 40 en argon 40 ont lieu depuis des centaines de millions d'années. Une première conséquence est que les roches terrestres contiennent de l'argon 40, mais la faible réactivité de cet élément implique qu'il s'extrait très facilement des roches pour nourrir l'atmosphère. Ceci explique donc la présence de l'argon dans l'atmosphère, puisque l'argon 40 est ensuite nucléairement stable. En outre, la compréhension de cette réaction nucléaire et de ses proportions précises a permis de mettre au point une méthode de datation des roches dite datation par le potassium-argon : les rapports de concentration entre le potassium et l'argon dans une roche donnée renseigne sur l'âge de cette roche, permettant de remonter jusqu'à des durées de plusieurs milliards d'années.


Plus généralement, on connait maintenant de nombreux isotopes de tous les gaz nobles. Le radon, le plus lourd d'entre eux et découvert après tous les autres en 1900, n'a pas d'isotope nucléairement stable. Tous les atomes de radon dans la nature sont donc radioactifs. Il est produit dans les roches par désintégration de l'uranium. Ceci a eu des conséquences dramatiques pour les ouvriers travaillant dans les mines d'uranium et les risques sont aujourd'hui pris en compte. Le radon est donc produit dans les sols et remonte à la surface, il peut ainsi s'accumuler dans des doses dangereuses dans les habitations confinées. Les conséquences sont loin d'être négligeable : le radon est aujourd'hui considéré comme la deuxième cause des cancers du poumon après le tabagisme dans de nombreux pays.


Enfin, mentionnons un dernier élément chimique qui partage avec les gaz nobles le fait d'être à valence 0 : l'oganesson, de numéro atomique Z=118. Jamais observé à l'état naturel, comme tous les atomes plus lourd que l'uranium (on parle d'atome transuraniens), il est le plus lourd atome ayant été synthétisé en laboratoire à ce jour. Il n'est pas considéré comme un gaz rare car il ne peut former de gaz, étant trop lourd et est extrêmement instable puisqu'il se désintègre en moins d'une milli-seconde. Il doit son nom à Iouri Oganessian, physicien russe ayant effectué de nombreuses recherches sur les éléments lourds. Mais ceci est une autre histoire.

Gaz nobles et oganesson : représentation des couches électroniques dans le modèle de Rutherford-Bohr

Quelques sources pour approfondir

  • L'article de Rayleigh et Ramsey de 1895 établit l'existence et les premières propriétés de l'argon.

  • Des informations supplémentaires sur l'atmosphère terrestre, dont une liste de ses principaux constituants est disponible sur Wikipedia.

  • En amont des découvertes de Rayleigh et Ramsey, un progrès spectaculaire dans la compréhension de la matière fut la classification périodique des éléments établie par Dmitri Mendeleïev. Ses contributions sont décrites dans cette vidéo de la chaîne e-penser.

  • Vidéo (en anglais) sur les propriétés chimiques de l'argon à très basse température, notamment décrivant ses interactions avec certains atomes dans ces conditions.

  • La page Wikipedia sur la chimie des gaz nobles est un bon point de départ pour comprendre comment ces atomes peuvent être mis en interaction avec d'autres composants.

  • Série de vidéos succinctes sur les propriétés de quatre des gaz nobles, évoquant certains aspects de leur production et usage : l'hélium, le néon, l'argon et le krypton. Une vidéo plus détaillée sur le néon et son utilisation massive au XXème siècle sur la chaîne de Robin Isnard.

  • Une vidéo (en anglais) sur les isotopes du potassium et les réactions nucléaires induites, expliquant en détail l'apparition de l'argon 40, sur la chaîne Khan Academy.

  • Une très courte vidéo sur les effets du radon dans notre quotidien.

Il suffit de cliquer sur les images pour accéder à leur source. Le texte a bénéficié de l'édition de Laurène D. et de la relecture de Tiphaine H. et Daniel S.

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